Un cadre protecteur et émancipateur


 

C'est la pagaille dans ma classe !

 

"Je passe des heures à préparer mes cours mais je ne parviens presque jamais à les faire. C'est décourageant...

 

Entre les élèves qui bavardent et dont les voix couvrent la mienne, ceux qui n'écoutent pas et à qui il faut répéter la consigne individuellement, ceux qui ont écouté mais n'ont pas compris, ceux qui manquent de confiance et ont besoin de ma présence à leurs côtés...

 

Je passe mon temps à courir d'une table à l'autre, je stresse en voyant le temps qui passe et le travail qui ne se fait pas et je finis en général par être hors de moi, à crier injustement sur des élèves trop lents ou qui ont eu la mauvaise idée de rire.

Résultat, les élèves qui voudraient travailler n'arrivent pas à ce concentrer et se mettent eux aussi à crier "mais taisez vous donc on arrive pas à travailler !" ou à m'interpeller pour dénoncer leurs camarades perturbateurs...  Quant à ceux ou celles qui sont en rébellion cela leur donne une occasion de plus de protester "De toutes façons c'est toujours pareil ! C'est nul, cette classe" !

 

Les formateurs me disent que j'ai un problème de gestion de classe. C'est vrai mais le savoir ne suffit pas pour améliorer l'ambiance de travail... Ils me disent aussi que je dois avoir plus d'exigences et tenir le cadre. Mais j'ai déjà l'impression de trop crier. Je n'ai pas choisi ce métier pour devenir un gendarme !"

 

Propos tenus par une enseignante stagiaire

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Le témoignage, courageux et lucide, de cette jeune collègue est représentatif de la situation de bien des classes, et pas seulement celles des enseignants en début de carrière.

On -et j'utilise volontairement ce pronom indéfini- juge trop souvent que le cadre est permissif, inexistant, répressif, bienveillant, sécurisant, incohérent, etc. Mais comme on ne prend pas toujours le temps d'expliciter de quels éléments du cadre on parle, la confusion s'installe et la pagaille s'amplifie....

Nous proposons donc de préciser ce qui, de notre point de vue, définit un cadre et ses fonctions.

 

Poser un cadre, c'est réfléchir à l'organisation de l'environnement de travail (l'espace /le temps /le matériel) et de l'environnement social (règles de vie) qui rendront  le travail en commun possible et agréable. Nous parlons alors de cadre pédagogique.

 

Poser un cadre, c'est aussi et surtout, s'interroger sur ses fonctions. Que vise-t-on en l'instaurant ?

  • A protéger les élèves  des débordements émotionnels et des pulsions archaïques inhérents à la condition humaine  et à la vie de groupe ?
  • A les asservir à son pouvoir et à ses désirs ?
  • A leur apprendre à s'affranchir de la présence d'un adulte, donc à devenir responsables ?

La réponse à ces questions détermine les règles concernant l'environnement de travail.

Nous parlons alors de cadre éthique.

 

Notre jeune collègue a donc raison.

Si la mise en place d'un cadre plus structuré vise à faire taire les élèves, à les empêcher de bouger et de s'exprimer, à les contraindre à faire tous la même chose au même moment, alors oui, les risques de renoncer à sa mission éducative sont grands...

 

En revanche, la mise en place d'une organisation réglementée et rigoureuse, permettant aux élèves de savoir ce qu'ils peuvent faire ou non pour contribuer à une bonne ambiance de travail, préserver leurs besoins de calme, de sécurité, et développer l'entraide et les espaces d’initiatives suscitera, sous certaines conditions, l'adhésion des élèves et le retour à un climat scolaire studieux.

JAO

 

 


De la diversité des cadres...


Quand les adultes ne mettent pas en place de cadre contenant, ce sont les enfants ou les adolescents qui s'emparent de l'espace, du temps et imposent leur rapport aux autres et aux activités, parfois pour le meilleur, et la plupart du temps pour le pire !

On découvre ainsi des classes où règne une joyeuse pagaille, où les élèves sont heureux mais apprennent peu...      Et des classes bataille où la violence et les incivilités créent un climat d'insécurité incompatible avec les apprentissages.

Dans les deux cas, les élèves sont condamnés à leur état infantile et risquent de se construire de façon égocentrée, dans un rapport de force ou de soumission à l'environnement...


Il y a des cadres bien structurés et omniprésents. Tout a été pensé par l'adulte et est réglementé de façon à ne laisser aucune échappatoire. Tout doit se passer comme prévu et les élèves qui n'entrent pas dans ce cadre ne peuvent que l'attaquer ou disparaitre, au sens propre (exclusion) ou figuré (se faire oublier).

Dans ce type de classe disciplinaire, le savoir a un statut de récompense et est réservé aux élèves les plus dociles et conformes aux attendus de l'école.

Les élèves y intériorisent le modèle méritocratique ou développent un sentiment de non conformité (honte de ne pas avoir été à la hauteur) ou un désir de rébellion contre le système injuste.

 


Il y a des cadres créatifs, à la fois structurés et bienveillants, faisant une large place à la diversité des besoins et des intelligences... Mais qui ont aussi plein de trous et rendent les dérapages possibles.

Ce sont souvent des classes aux pédagogies actives qui favorisent la curiosité, l'expérimentation, la créativité. Le savoir est au service de l’épanouissement de l'enfant. Le bon fonctionnement de ces classes dépend du profil des élèves accueillis et de l'adhésion des parents d'élèves au projet de classe.

Les élèves peuvent y développer leurs talents comme leurs travers, mais aussi se construire de façon individualiste, faisant passer leur propre intérêt avant celui groupe. Ils risquent alors d'instaurer des rapports tyranniques avec leur environnement...

 


Il y a des cadres structurés, sécurisants et attractifs, tenus par des enseignant-e-s à la personnalité rayonnante. Ces enseignants obtiennent l'adhésion des élèves autant par la justesse et la cohésion du cadre posé que par la façon de l'incarner par leur posture confiante, déterminée, et bienveillante.

Ses savoirs, savoir-faire et savoir-être fondent son autorité et suscitent, chez les élèves, le désir de s'inscrire dans sa filiation et de recevoir son héritage culturel.

Dans ces classes, les élèves développent leur curiosité, l'implication dans le travail et un fort sentiment d'appartenance à la communauté de ceux qui ont été dans la classe de Mr ou Mme... Ils peuvent aussi être piégés dans un modèle culte occultant la valeur d'autres modes de fonctionnement.


Et puis il y a les cadres "souples-durs" dont nous parle Dominique Ginet dans l'article ci-dessous,et le cadre hors-menace tel que le définit Jacques Lévine.

Les cadres "souples-durs" sont aussi tenus, comme dans le cadre précédent, par des enseignant-e-s faisant preuve de confiance, de détermination et de bienveillance mais qui vont, eux,  miser sur la dynamique de groupe et la co-réflexion pour élaborer un cadre qui s'attache autant à la sécurité et à la croissance de chaque individu qu'à celle du groupe. Les intérêts et les besoins de l'un ne pouvant jamais être considérés sans tenir compte de l'autre.

Dans ces classes, l'adulte a une fonction d'instance paternelle et apporte aux élèves la sécurité psychique, l'exigence intellectuelle et les perspectives sociales qui autorisent chacun à être un interlocuteur valable, important et apportant pour le groupe.

Les enfants et les adolescents ne sont pas seulement des élèves dont on guette les résultats scolaires mais d'abord des personnes du monde responsables du devenir de l'humanité.



On pourrait continuer avec les cadres endogamiques qui ne visent qu'à la protection du système scolaire...

Les exogamiques qui ouvrent sur le monde... Les cadres qui réduisent à l'impuissance et favorisent la bureaucratie...

 

On pourrait aussi imaginer des classes auto contenantes, où les individus auraient complétement intégré les besoins de l'autre et où il ne serait plus nécessaires de définir, année après année, le cadre qui permet de partager l'espace commun...

Mais là nous serions dans l'utopie,  non ?

 


Un cadre "suffisamment bon"...


« Il existe une turbulence inhérente à l'être jeune, surtout quand il est en groupe, que l'École a encore quelque peine à reconnaître comme saine, parce qu'elle la perçoit d'emblée comme une entrave à son action, ou encore qu'elle ressent comme une violence.

Qu'on entende cette turbulence comme défense maniaque contre la dépressivité propre à l'adolescence ou comme externalisation de la crise identitaire que doit traverser le sujet, elle se présente comme du désordre, qui en appelle à un cadre apte à le contenir.

 

Recourons à une image pour signifier ce qu'il devrait en être du cadre “suffisamment bon” que l'École a à proposer aux élèves. Sa consistance peut être qualifiée de “souple-dure”, à l'instar de ces matières plastiques qui sont aptes à encaisser une élévation de la pression interne, sans se déchirer ou exploser, pour reprendre ensuite leur configuration initiale.

On aperçoit en cet instant les deux dérives qui sont susceptibles d'affecter l'École comme cadre, en tant qu'elle a affaire à des adolescents : trop mou, laxiste, troué, ambigu, le cadre est alors incapable de contenir le désordre interne des sujets, et c'est ce désordre qui va maintenant l'envahir et le contaminer, c'est l'établissement scolaire qui est lui-même mis en crise par la crise des sujets qu'il accueille.

Trop rigide, le cadre devient alors “encadrement disciplinaire”, et l'établissement risque alors de fonctionner comme un dispositif “anti-crise”, tendant à une normalisation des sujets accueillis, et non plus à une éducation.

 

Il faudrait ici discuter la substitution d'un rapport d'emprise à la relation éducative. Ce qui est ainsi visé, c'est de substituer de l'ordre au désordre, faute de pouvoir le tolérer, c'est d'éteindre la crise, au risque d'en repousser à plus tard la résurgence, dans la regrettable méconnaissance du coût psychique d'un tel délai ».

Dominique Ginet, Professeur de psychologie

 

Pere Borrell del Caso

Escapando de la crítica, Madrid (1874)


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Bientôt sur le site,  une  page sur "Poser un cadre suffisamment bon".

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L'école dont je rêve...

"J'aimerais que l'on est beaucoup de place et des couloirs très larges pour pas qu'on se bouscule."

Lucien, 10 ans