Je me souviens d'un enseignant en CE1 qui nous faisait des blagues. Quand on ne comprenait pas, il terminait ses phrases par « nom d'un petit radis gris !» ou bien « nom de Zeus » ! Il était drôle, il faisait du théâtre amateur. Je l'avais vu jouer dans une version du magicien d'Oz. Il avait le rôle du robot. Quand je suis allé le voir après la pièce avec mes parents, il avait l'air un peu gêné. Comme si j'avais vu un peu une autre partie de lui-même.
En CE2, la maîtresse avait dit à ma mère que je ferai ce que je veux dans la vie. C'est une belle parole que j'ai gardée en mémoire. Mais, je n'ai pas toujours fait ce que j'aurais voulu pour autant !
En CM1, ma première rencontre avec l'enseignante qui portait toujours une blouse bleue, mais je ne le savais pas encore, fut très abrupt. Je rentrais dans sa classe pour la garderie du matin. Je vois cette dame avec une blouse et je lui demande « Où est la maîtresse ? » Je l'avais prise pour une employée de mairie chargée de l'entretien.
Mon professeur de CM2 nous parlait des OVNIS.
En 3ème, j'adorais la professeure de français. J'étais très heureux dans son cour, alors je la regardais toujours avec un sourire qui m'échappait. Un jour, elle arrête son cour, me regarde nerveusement et me dit : « Je ne supporte plus ton petit sourire narquois. Maintenant, tu regardes ailleurs, il y a un mur devant toi. » J'ai compris ce jour-là à mes dépens que la sympathie que je lui portais n'était pas réciproque.
Au lycée, j'ai eu des professeurs formidables. Je leur dois beaucoup. Je me souviens notamment de notre professeur d'arts visuels qui nous laissaient complètement libres de produire ce que nous voulions pour le bac (j'ai découvert plus tard « L'enfant artiste », livre de Célestin Freinet, j'ai pensé à lui). Il nous emmenait voir des expositions d'art contemporain. Notre professeur de philo commençait son cours par une citation que nous allions écrire au tableau avant son arrivée, toujours un peu tardive, avec son fameux gobelet de café froid à la main, l'air pas trop réveillé. Et puis, la douceur et la culture de notre professeur d'économie et de français...
Parce que se présenter comme enseignant, c'est comprendre que l'on est constitué aussi de la présence des autres et de leurs souvenirs... Peu d'enseignants ont du être des élèves malheureux à l'école. Les enfants pensent le monde et les relations différemment des adultes, et qu'il faut le respecter et le comprendre.
Être enseignant, c'est continuer la voie que d'autres nous ont montrée avant nous. C'est transmettre à partir de ce qui nous a marqué. C'est travailler à partir des souvenirs heureux et malheureux que nous avons vécus à l'école, mais aussi en dehors, pour se rendre disponible aux difficultés et aux réussites de nos élèves. C'est se rendre compte que ce qui reste de toutes ces années passées en classe, ce sont des souvenirs relationnels, souvent des anecdotes, mais aussi et surtout des paroles qui grandissent et d'autres qui blessent. C'est accepter que nous visions un idéal par définition inaccessible.
Le réel est toujours, d'une certaine façon, décevant. Réjouissant parfois, aussi.
Je me souviens d'une conversation avec un collègue. La fin d'année approchait. J'ai du lui dire quelque chose comme : « La fin de l'année, c'est toujours le moment où l'on se dit que l'on n’aura pas complètement fini ! ». Sur ce, il me répond : « Ah non, moi j'aurais bouclé tous mes projets, même s'il faut travailler jusqu'au dernier jour. » Pour ma part, je voulais parler non pas des projets, mais bien de ces élèves dont on a le sentiment de ne les avoir pas assez aidés, où les objectifs que l'on s'était fixés pour eux ne sont pas atteints. Que le chemin avec eux pourrait être encore long et que l'on s'inquiète pour eux, pour leur avenir. Je repense souvent à ces élèves-tourbillons-difficiles des années passées.
Je me souviens d'une conversation avec une collègue. Elle me parlait de son parcours et, assez contente d'elle, me dit qu'elle n'a jamais connu d'échecs, ce qui est une belle dénégation, car des échecs tout le monde en traverse. J'étais un peu déconfit. J'ai pensé en mon for intérieur : quel dommage ! Ce devait être parfois difficile pour elle que de se mettre à la place de ses élèves en difficultés.
Enseigner, c'est travailler avec des collègues qui ne partagent pas les mêmes idées, les mêmes envies, la même relation aux autres et aux savoirs que nous.
Par ma part, heureusement que j'ai été parfois en difficulté dans mes études et aussi dans ma vie (et parfois encore aujourd'hui, dans mon travail et ailleurs) pour accompagner les élèves, essayer de les comprendre et de les aider. Je me méfie de la toute-puissance, de l'autosatisfaction et aussi de la part d'infantile qui sommeillent dans toute équipe pédagogique, je m'inclus là-dedans !
Alors, pourquoi ne pas faire la biographie de là où j'ai échoué ? Ce serait trop long !
Je suis un jeune enseignant dans le primaire, et j'ai pu ainsi parcourir tous les niveaux de classe sur des périodes relativement longues. Avant de présenter le concours, j'ai travaillé dans le milieu culturel et associatif. Je conserve une activité artistique en dehors de l'Éducation nationale.
Je propose, ci-dessous, un document que j'ai nommé « Vademecum de l'enseignant » qui pourra servir notamment aux collègues arrivant dans le métier.